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en 2015, une étudiante en cinéma, gabrielle, invite les étudiant.e.s à partager leurs films lors d’une séance dans un squat

alors que presque aucune projection n’était alors organisée et que les films des étudiant.e.s disparaissaient dans des tiroirs et disques durs sans voir la lumière des projecteurs, avec garance et nicolas, iels lancent le jeudi 15 décembre 2015 dans la cave du raymond bar le premier paris 8 fait son cinéma

rapidement l’idée est de s’associer avec des lieux amis, non commerciaux, alternatifs et ouverts, occupés ou associatifs et de permettre à chacun.e d’envoyer son film, sans aucune sélection, sans jury, sans prix, sans compétition

jule, giulia, sarah rejoignent l’équipe et paris 8 fait son cinéma s’expose à la capela, au landy sauvage, à la volte, au doc!, au fender, au totoro puis au barigaldi, à l’a.e.r.i, à la parole errante, à maison nectar

nous sommes 5 puis…

taynara, daniel, luna, timothéo, catherine, théo, mavisu, charles, roman, jülide, gabriel, balthazar, lucille, cassiopée, thécie, agathe, djain, luz, emma, augustine, charles cosmique, maelle, bertille, julia, alexandre, alice, apolline, seb, swann, cléa, marie, leia, pauline, nelse, lothaire, marin, lou, calypso…

Rencontrer… enfin !

Discuter, librement – fixer, l’instant d’un film et d’un silence collectif le travail des autres.

Regarder, renouveler notre manière d’admirer en toute tranquillité, un film.

Et puis, participer – créer des séances inoubliables, échanger, construire et re-bâtir  :

Créer à partir de l’ordinaire un rendez-vous qui nous hantera ; un souvenir qu’on n’aurait pas vu venir – en musique et coloré.

Gabriel Lauvige

Dans la cave du Raymond Bar

Tout se mélange un peu, il faut bien le reconnaître. Est-ce la mémoire qui flanche ou bien une accumulation d’événements qui, depuis 2015, rendrait ces sept dernières années si denses qu’il serait impossible d’extraire tel ou tel évènement sans replonger dans une multitude d’autres souvenirs ?

Concentrons-nous, ouvrons la boîte, partons à la recherche de Paris 8 fait son cinéma.

Ce qui me revient nettement, c’est la première affiche (mais est-ce la première ?). Dans un style Jacques Monory, on apercevait le visage d’une femme dont la chevelure, nouée en canevas, barrait son front, ses yeux. On ne voyait que le bas de son visage, ses narines, sa bouche, son cou. Elle tenait devant elle un objet noir et donnait l’impression de l’observer. Impression aussitôt contredite par le bandeau de cheveux masquant son regard. Je me souviens m’être interrogé à propos de cet objet. Une caméra ? Un appareil photo ? Un téléphone portable en mode selfie ? À ce jour, il reste un mystère…

Mais, plus que tout, ce qui avait suscité ma curiosité était l’adresse de la soirée : Dans la cave du Raymond Bar. Des films, une cave, un bar et un énigmatique Raymond… Cette première projection serait donc en mode underground, possiblement alcoolisée, et on y croiserait peut-être un type du nom de Raymond. Un roi ou une reine de la nuit, qui aurait des histoires incroyables à raconter.  L’invitation était tentante.

Je ne me souviens plus exactement de la suite mais tout était déjà là. Tout ce qui fera de ces projections libre un endroit singulier, plus qu’une cave : un abri, un refuge, une cabane dans les bois urbains de Paris et sa banlieue. De belles affiches qui ne cesseront d’être soignées et mystérieuses, des étudiant.e.s présentant leur film avec confiance, avec gêne, avec humour, avec sérieux, fébriles, anxieux, déjà star, s’excusant, rigolant, en retard avec une bière à la main, pressé.e.s, de mettre fin à l’exercice, seul.e.s ou en binôme. Un public toujours prêt à discuter de la fabrication des films, à débattre. Sans oublier la silhouette de Nicolas Droin.

Mais s’il fallait répondre plus frontalement à la question « C’était quoi la première fois à « Paris 8 fait son cinéma » » je répondrais : à titre personnel, c’était le sentiment étrange d’être aujourd’hui et maintenant mais aussi hier, dans les années 80, 90 – et si on y regarde de plus près depuis l’invention du cinéma. Dans des lieux où se projetaient des films super 8 ou 16 et bientôt en Hi8, sur des murs de squats, d’immeubles, de boites de nuit, de cafés, de chambres d’ami.e.s, de petits musées privés. Oui, hier, il y a une éternité mais aussi la sensation d’être demain. Dans le futur. Car dans ce lieu de la première fois – dans la cave du Raymond Bar donc – il était clair qu’une telle initiative devrait se renouveler, devenir refrain, un rendez-vous attendu, qui rend joyeux, qui pousse à sortir un jour de pluie, une sorte de maison itinérante, un chapiteau de cirque. Merci à l’équipe de Paris 8 fait son cinéma d’avoir su tenir cette promesse.

 Alain Raoust

 

entrer dans une belle et douce obscurité,

se laisser envahir par la lueur tendre des bougies, colorée des guirlandes

se délecter de la chaleur d’un fauteuil de cinéma, du charme d’une chaise en bois, d’un canapé douillet, de joyeux coussins éparpillés.

puis entrer dans le monde, le cosmos, et découvrir des films-comètes qui nous éclairent.

P8fsc comme une énergie ardente

Mélanie Forret

Ça commence comme une invitation. Venez avec vos films, vos ami.e.s ! L’écran est libre et ouvert. Un squat nous accueille. Tout le monde peut venir. C’est gratuit.

On trace un cercle au sol, on ouvre un espace-temps collectif. On est 2, on est 5, on est 10 puis on est 200. Le cercle s’ouvre.

Il n’y a pas de sélection, pas de concurrence, pas de prix et pas de jury. Le geste de montrer son film est suffisant. Juste être présent.e et échanger avec le public.

Au début, la joie de partager, de se retrouver. Très vite, on est plus de cent à envahir la cave du Raymond Bar lors de la première.

Puis de session en session, de plus en plus de films, de monde, de partage. On se rend compte en faisant : en fait c’est hyper politique d’inviter ainsi tout le monde à montrer son film, sans censure, sans sélection. Quel autre espace dans la « culture » existe pour cela ? Que deviennent les films qui disparaissent dans les disques durs ? Qu’est-ce qu’un film qui n’a jamais été projeté et partagé ?

On fait des films, on a conscience de l’importance du dispositif de projection, de ce moment de partage et d’angoisse : un film n’est réellement terminé que quand il a été montré en présence d’un public. Aucune mise en ligne sur internet ne remplacera l’échange avec un public au sein d’un espace commun.

Les soirées se succèdent, les lieux, les programmations improvisées !

Il n’y a pas d’un côté les organisateurs/trices, de l’autre les cinéastes, de l’autre encore le public : tout le monde participe et co-organise du fait de sa présence : en donnant vie à une soirée, en montrant son film, en regardant les films et en posant des questions. Paris 8 fait son cinéma est co-organisé par l’ensemble des présent.e.s à une soirée donnée.

Les lieux qui nous accueillent sont l’âme de nos projections : nous sommes amis, solidaires, camarades de luttes ! Ce sont des lieux alternatifs, non commerciaux, autogérés, squattés, menacés d’expulsion. Et souvent, bien vite, expulsés…

 

 « Déployer l’attention des itinérants qui se mettent au défi des passages entre des mondes »

Loin du capitalisme et de ses droits de propriété ici tout est à toustes : ces lieux sont des lieux vivants et ouverts, hétérotopiques et protéiformes. Loin de la « culture » et ses espaces élitistes, payants et mortifères.

« Faire sécession, se lier stratégiquement aux autres zones de dissidence, intensifier les circulations avec les contrées amies, sans souci des frontières »

À un moment où l’espace policier, quadrillé, semble envahir la carte, « nous (pensons) qu’il n’en est rien. Que la métropole est fissurée, partout trouée, composée de brèches et de lieux opaques. Et que ces derniers existent dans la mesure où on les fait exister. »

Nous revendiquons notre nomadisme, notre itinérance comme acte politique. Soutenir non un seul lieu mais des lieux amis, ne pas s’embourgeoiser en restant fixes, ne pas s’endormir, découvrir des lieux et les faire découvrir et expérimenter ces rencontres avec des lieux comme rencontres vivantes avec des camarades, des visions, des approches. Manière de se décentrer toujours. De se déterritorialiser.

 

« Créer les occasions pour raconter les rencontres possibles dans les lieux que nous voulons habiter »

Par la non sélection, chaque soirée devient un agencement improbable de films inédits et sensibles : la programmation résultant de ce bout à bout est imprévisible et nous découvrons les films en même temps que nous les projetons ! C’est sans doute aussi cela que l’on apprend : le programme n’est pas pensé préalablement (autre manière de fabriquer du « prêt à penser culturel ») mais il s’écrit en se faisant. Libre, indiscipliné, parfois trop sage, parfois totalement barré : pas une soirée ne se ressemble et les spectatrices/teurs/acteurs/trices d’un soir n’ont aucune idée de ce qu’iels vont voir. Nous non plus !

Comme l’écrit Marielle Macé nous nous ouvrons un espace pour lutter contre la sélection de tout, de toustes, tout le temps : « C’est de leur précarité, de leur non-place (de ces places qui sont refusées et de cette violence de se savoir en tout objet de sélection) que partent (nos) actes de solidarité, (nos) gestes d’accueils »

Finalement l’agencement hétérogène de ces films fabrique du sensible, déboulonne des statues, rafraichi notre regard sur le cinéma. Il ne s’agit plus simplement de juger, il s’agit d’aimer, de voir, de partager. « Pluraliser l’altérité ». Nous découvrons les films comme on lance des dés, sans connaitre à l’avance les combinaisons qui vont naître.

Une partie de ce que l’on fait découle de ce processus : car finalement ce qui compte c’est aussi le chemin qui s’invente entre les films, les regards, les sensibilités. On est parfois heurté, déçu, étonné : on ne reste pas indifférent.e.s. Nous sommes actifs/ves, partie prenantes, on n’hésite pas à donner notre avis en respectant le/la cinéaste.

Les films éclosent sous nos yeux ébahis : tient, comment elle a fait ça ? Ouah c’est beau ce mouvement ! Les films poussent par le milieu, sans début ni fin, sans justification préalable !  « L’herbe n’existe qu’entre les grands espaces non cultivés. Elle pousse entre – parmi les choses. L’herbe est débordement » semble nous crier Henry Miller.

 

« Pluraliser le monde et le rendre ainsi ingouvernable »

Guy Debord-ons ensemble camarades, ouvrons des passages, créons nos situations, inventons nos lieux. Les films, les désirs, les actes sont déjà là. Ouvrons des espaces résolument anticapitalistes dans le cinéma.

Paris 8 fait son cinéma ne nous appartient pas, des milliers de projections libres et sans sélections pourraient éclore de par le monde. Ça pousse de partout comme les mauvaises herbes.

Nicolas Droin

 

Il y a l’écran.

 

L’écran sur lequel les images des cinéastes, vont arriver. Se dérouler.

Mais avant, il y a l’attente, la peur peut être. De montrer son film. La peur de se montrer. Surtout si c’est la première fois. Et cette émotion de voir ses images projetées sur cet écran.

Et il y a l’attente, des spectacteurs/spectatrices, bienveillants, avides de découvrir.

Et puis on se retrouve, devant l’écran redevenu blanc. On échange, on pose des questions, on se pose des questions. Pourquoi, comment. On explique, pourquoi, comment. Ou on ne peut expliquer. La peur à nouveau, non plus de montrer, mais de parler, d’avoir à dire, pourquoi, comment. Tout était là, sur l’écran. On se tourne vers lui, comme pour rappeler les fantômes d’images. Et on voudrait tout refaire.

Les projections de p8fsc ont procuré au fil des années, ces attentes, peurs, émotions, retrouvant une forme simple du cinéma, première, primitive. Un écran tendu, un appareil de projection. Cinéma de tréteaux. Vagabond, comme le cinéma des premiers temps. Foires, grands magasins, arrière salle de café.

Car il y a les lieux. Que l’on découvre de séance en séance. Cinéma vagabond dans des lieux eux-mêmes vagabonds. Ouverts, temporaires. Fugitifs. Aussi mobiles que les images sur l’écran.

Tout y est ouvert, les lieux, les films, les supports, les genres.

Ce pourrait être un chaos, ça l’est peut être parfois, mais grâce soit rendue aux « organisateurs/organisatrices », tout tient. Dans la volonté à montrer les films, ce désir de découverte.

Dans l’esprit de Vincennes, réinventé. Invention permanente.

À faire que, projeté sur un écran, le cinéma existe.

Prosper hillairet

J’ai le plaisir de faire partie de Paris 8 fait son cinéma depuis quelque temps après avoir longtemps suivi les éditions.

Cet espace libre de projection et de rencontre autour du cinéma etudiant.es donne la possibilité à tous.tes de montrer son savoir-faire et d’échanger avec le public autour de la réalisation d’une oeuvre. C’est toujours riche en visionnage et beaucoup de thématiques différentes viennent toucher notre sensibilité.

Un sujet souvent retrouvé dans les éditions est l’autorepresentation. Elle permet de s’ouvrir aux autres plus facilement, comme quoi le cinéma est vecteur d’un journal intime qui parle à notre place.

P8FSC ne se définit pas uniquement par « je vous montre mon film » mais par le partage d’une passion commune, d’interrogations multiples sur un film et son auteur.ice.

Chaque nouvelle édition est une surprise.

Swann